À Nilvange en Moselle, le Gueulard Plus développe une programmation riche et variée pour le jeune et très jeune public. Découverte du fonctionnement d’une salle de concert, initiation aux instruments, ateliers dans les crèches, spectacles pour les bébés et même concert de metal dès 5 ans : la Smac multiplie les initiatives pour les enfants.
C’est un mercredi après-midi de mars au bar du Gueulard Plus, une salle de concert située sur les hauteurs de Nilvange en Moselle. Il a beau n’être que 14h30, le niveau sonore est déjà élevé : on entend des femmes et des hommes discuter allègrement autour d’un verre. Pourtant, à bien y regarder, l’espace est majoritairement occupé par des individus de moins de 5 ans. Certains savent tout juste marcher, d’autres sont encore dans leur poussette. Aucun n’a l’âge des voix qui résonnent. Et pour cause : le bruit des conversations, en fait, s’échappe des enceintes du bar. “Bonjour à toutes et à tous, soyez les bienvenu·e·s, annonce une jeune femme qui s’adresse aux enfants. Vous êtes ici au bar du Gueulard Plus et les voix que vous entendez sont celles du public qui vient prendre un verre avant un concert. Je vais vous proposer un petit parcours. Vous arrivez ici en tant que public, et qui sait, peut-être qu’à la fin de la visite, vous serez des artistes.”
La jeune femme en question, nommée Gaëlle Carré, travaille comme responsable de l’action culturelle et de la programmation jeunesse du Gueulard Plus. En 2022, dans le cadre de la Semaine Nationale de la Petite Enfance, elle a imaginé une visite sensorielle de la Smac. Soit un parcours conçu pour faire découvrir au jeune public le fonctionnement d’une salle de concert, qui stimule les différents sens et permet aux participant·e·s de participer. L’expérience est gratuite et l’on peut s’y inscrire dès le berceau. “J’ai entendu parler de cette visite à la médiathèque, explique Emilie, venue de la commune voisine Hayange avec ses deux fils, Enzo (5 ans) et Livio (5 mois). J’avais expérimenté un atelier d’éveil musical avec mon aîné et il avait apprécié. Alors j’ai eu envie d’aller plus loin. Le principe d’une visite sensorielle m’attirait, car elle permet aux enfants de toucher, d’échanger, de manipuler. Pas seulement d’entendre ou de regarder un musicien”.
Après la découverte du bar, les jeunes visiteur·ses se dirigent vers la salle de concert au niveau inférieur de l’établissement. Chacun·e rejoint le sous-sol à son rythme : escaliers pour les marcheurs, ascenseur pour les poussettes. Vaste et sombre, l’enceinte de la salle pourrait impressionner certain·e·s une fois les portes anti-bruit franchies. Mais la visite a été pensée pour que les plus jeunes prennent leurs aises : dans la fosse, des tapis et coussins colorés ont été disposés pour que chacun puisse s’installer ou même se déplacer. “Ici, on peut réunir 360 personnes dans le public, explique Gaëlle Carré aux visiteurs. Ça fait beaucoup de monde et beaucoup de bruit”. Des extraits sonores, à nouveau, viennent illustrer son propos. Une séance de devinettes donne ensuite l’occasion d’apprendre que le Gueulard Plus a été construit à l’emplacement d’une piscine municipale. De quoi amuser le public, qui comprend qu’il est actuellement assis dans l’ancien bassin.
La déambulation se poursuit avec une session de découverte d’instruments de musique (bâton de pluie, tambour-tonnerre, tambour-océan qui reproduit le bruit de la mer…). Les visiteur·ses rejoignent ensuite un des trois studios de répétition mis à disposition du public local. “Pour les enfants, la limite sonore est de 94 db, poursuit Gaëlle, qui invite les enfants à crier pour faire grimper l’enregistreur de décibels. Cela permet de ne pas abîmer les oreilles.” Les plus téméraires s’essayent ensuite à la batterie avant de regagner les loges puis la grande scène, où il faut prendre son courage à deux mains pour prononcer son prénom dans le micro. D’une trentaine de minutes, le parcours s’achève du côté de la sortie des artistes.
Ludique et pédagogique, cette visite sensorielle s’inscrit dans une volonté de l’équipe du Gueulard Plus de déployer une large programmation pour la petite enfance. “Il y avait dans le Val de Fensch une forte tradition ouvrière liée à l’histoire sidérurgique, analyse Gaëlle Carré. Les usines qui étaient présentes possédaient de nombreuses garderies. Leur fermeture a engendré une diminution de propositions pour le jeune public. Le Gueulard Plus a donc, dès son ouverture en 2014, eu à cœur de proposer une large programmation pour les enfants.”
L’emplacement de la Smac, à proximité des écoles et du Pôle Enfance de Nilvange, favorise les collaborations avec les professionnel·le·s de la petite enfance. “En France, c’est compliqué pour les crèches d’organiser des déplacements, car il faut un accompagnant pour deux enfants, poursuit Gaëlle Carré. J’ai donc souhaité développer notre envie d’amener la musique aux tout-petits sur leur lieu de garde, en utilisant un instrumentarium.” Soit un ensemble d’une demi-dizaine de valises, dans lesquelles le Gueulard Plus a rassemblé une cinquantaine d’instruments de musique et qu’il prête aux crèches et écoles pour un mois. Cette ressource musicale à disposition des établissements du territoire réunit des tambours lollipop, ocarinas, couronnes de cymbalettes, cloches, sifflets, bols tibétains, pentakids, calebasses, claves, œufs shaker...
“Ce sont des instruments de qualité, qu’on ne voit pas souvent ailleurs et qui ont été confectionnés dans des matières nobles comme le bois et le métal, se réjouit Aurélie Garret, directrice de la micro-crèche Nid’ abeilles à Stuckange, qui rapporte ce jour-là deux valises. Nous avons installé les instruments sur un plateau puis nous avons laissé les enfants s’en emparer. Cela a permis une activité très constructive, qui favorise l’autonomie, le respect des autres et du matériel, la motricité fine.” Pour cette directrice, dont la crèche défend des pédagogies alternatives, le prêt d’instruments imaginé par le Gueulard Plus est une chance pour le développement du petit enfant. “La musique permet de développer la plasticité cérébrale des 0-3 ans, à travers la concentration et la mémorisation. C’est aussi un formidable moyen de stimuler les sens : avec un instrument, l’enfant travaille le toucher, la vue, le son. Or Maria Montessori décline l’enfant comme un être sensoriel, qui apprend via ses sens. ”
La musique, d’ailleurs, est omniprésente dans le quotidien d’un tout-petit. “Elle fait partie du quotidien de la petite enfance, confirme Annick Millim, éducatrice et animatrice de La Luciole, le Relais Petite Enfance (anciennement RAM) du Val de Fensch, qui collabore depuis des années avec le Gueulard Plus. Les comptines permettent de rythmer et structurer la journée d’un enfant. Les berceuses apaisent. Les assistantes maternelles, d’ailleurs, chantent et dansent beaucoup. Ces temps musicaux permettent à la fois un lâcher-prise et une communication.” L’instrument de musique, enfin, présente l’avantage de proposer au jeune enfant une multitude de rôles. “Sa manipulation lui permet d’être à la fois auditeur, spectateur des autres et producteur du son, ajoute Aurélie Garret. Les bébés sont émerveillés quand ils comprennent que ce sont eux qui produisent le son qu’ils entendent. Et ils peuvent aussi réaliser que certains sons ne leur conviennent pas.”
Pour accompagner les professionnel·le·s de la petite enfance, le Gueulard Plus organise des sessions de formation et de partage de connaissances autour de la musique et du son. Il programme aussi des ateliers d’éveil musical dans les établissements avec les artistes qu’il accompagne. Au sein même de la Smac, l’équipe a en outre veillé à installer du mobilier pensé pour les tout petits : tables à leur hauteur pour dessiner, coin lectures, tables à langer… Baptisée Le Petit Braillard, la programmation de spectacles jeune public, enfin, s’ouvre chaque année avec un concert adapté aux 0-3 ans. En octobre dernier, le Gueulard Plus accueillait ainsi les Compagnies Vocal Illimited & Bleu de Lune pour Avant Les Mots, un spectacle plongeant aux sources de la musique, où coquillages, bambous, pierres et cornes formaient un orchestre primitif. La salle a aussi coproduit Zic en signes, un concert signé pour les 0-3 ans ou encore Les Deux Oiseaux de la Compagnie Madame Glou, un spectacle qui invitait les enfants, pour découvrir la musique, à prendre place dans une grande structure circulaire sur laquelle étaient projetées des images. “J’essaye de privilégier les propositions atypiques qui considèrent les bébés comme des êtres humains à part entière”, sourit Gaëlle Carré.
Fin avril, le Gueulard Plus présentera Mes Petites Graines, une coproduction élaborée avec l’artiste de scène Hélène Koenig. “J’ai imaginé un vrai concert avec des chansons pour le public à partir de 12 mois, explique celle-ci. Un concert où l’on pourra sortir de la salle si besoin puis revenir sans avoir perdu le fil.” La musicienne, qui œuvre comme intervenante en structure d’accueil du jeune et très jeune public, veille à proposer aux tout-petits un répertoire qui ne les infantilise pas. “Mes textes parlent du quotidien, du recyclage, du cache-cache. Je vais privilégier des mots que je trouve poétiques, j’utilise un langage soutenu et j’évite de prendre une voix gnan-gnan comme on en entend beaucoup dans les vidéos aujourd’hui pour les petits. D’ailleurs, j’écris des chansons qui doivent aussi plaire aux parents. Steve Waring ou Anne Sylvestre, j’appelle ça de la chanson familiale.” Sur scène, l’artiste sera accompagnée de trois musiciens, laissant découvrir au jeune public un large panel d’instruments (batterie, percussions, clavier, flûte traversière, guitare…). Preuve supplémentaire que le Gueulard Plus s’applique à dépoussiérer le spectacle jeune public, l’an dernier, la salle initiait les enfants aux joies du… metal ! “Nous avons programmé Metal for Kids, un concert et une initiation au metal pour les 5-10 ans et leur famille, conclut Gaëlle Carré. Ça a très bien marché ! Les enfants ont aimé faire leur premier pogo et se défouler dans un circle ! À l’avenir, j’aimerais proposer pour les petits un vrai concert de reggae ou d’électro, où ils pourraient toucher les platines par exemple.”
(Crédits photos : Technical Spirit / Le Gueulard Plus)
Credits:
Technical Spirit / Le Gueulard Plus